Portrait de Matthieu Deborne et petite botanique de l’olivier

ENTRETIEN AVEC Matthieu DEBORNE , OLÉICULTEUR SUR LA COMMUNE 

Matthieu pouvez-vous nous retracer succinctement l’économie de l’olive dans notre sud Ardèche ?

Il existe une production d’huile monovariétale ou d’assemblage chez les oléiculteurs ardéchois  liée à des contraintes et/ou choix personnels : volume de production, sélection de qualités gustatives, etc…

On peut noter la présence des variétés suivantes :
– Les ardéchoises : Rougette de l’Ardèche, Negrette, Ubac, Béchude.
– Les françaises : Picholine, Aglandau.
– Les étrangères : Frantoio.
Les sous produits, margines et grignons, sont éliminés par les moulins.

L’oléiculture ardéchoise a traversé des périodes difficiles. Pouvez-vous nous tracer un rapide historique de ce renouveau ?

Les ravages des années de gel  ont effectivement provoqué la quasi disparition des oliveraies. En 1956,  6 millions d’arbres furent gelés dans 10 départements.
Il fallut attendre le renouveau des années 1990 pour que l’oléiculture ardéchoise redémarre à partir d’anciennes ou de nouvelles oliveraies.
A ce jour,  la production est assurée principalement par des particuliers-amateurs pour une superficie de 250 à 300 ha.
Une dizaine de  moulins privés, répartis géographiquement, assurent la production d’huile.
La commercialisation des produits est partagée entre les moulins et quelques producteurs.
Un syndicat professionnel, le SOAM (Syndicat des Oléiculteurs de l’Ardèche Méridionale) sous la présidence de monsieur Jean Noël BERNEAU aide à la promotion des produits.

Matthieu, chez vous c’est une histoire de famille !

Oui, j’ai repris et poursuivi le travail de mon grand-père qu’il avait initié sur de petites parcelles.

Parlez nous des variétés et particularités de l’huile que vous produisez sur la propriété !

 Je cultive de nombreuses variétés telles que : Picholine, Aglandau, Rougette de l’Ardèche, Grossanne, Negrette, Béchude, Ubac, Frantorio et Leccino pour la production d’huiles monovariétales.
Cette large palette permet de produire des huiles douces ou plus ardentes avec des arômes divers de tomate, pomme ou des notes végétales.
Ardéchoises ou étrangères les rendements en huile sont différents selon la variété avec une moyenne d’un litre pour cinq kg de fruit.
Il n’existe pas, pour le moment, d’appellation pour nos huiles ardéchoises.

Quelles sont les exigences spécifiques à la culture de l’olivier ? Et quelle pratique est la vôtre?

Il faut des coteaux bien exposés, plein sud, à l’abri du froid, positionnés sur des terrains rocailleux argilo-calcaires.
Pour certaines parcelles, j’ai installé une irrigation par goutte à goutte, peu consommatrice en eau et répondant au besoin en hydratation des arbres.
L’olivier fructifie sur les pousses de l’année précédente. L’irrigation permet à la fois la production de fruits mais aussi une meilleure pousse de l’olivier.
Sur mon exploitation, les arbres sont conduits en production raisonnée, mes interventions se limitent à une ou deux pulvérisations de cuivre dans l’année pour combattre l’œil de paon  ainsi que sur  la mouche de l’olive en fonction des années.
Je récolte les olives de mi novembre à début décembre. Récolte tournante qui permet d’obtenir des huiles fruitées.
Les olives sont pressées par le moulin très rapidement après le ramassage afin d’éviter un début de fermentation nuisible à la qualité gustative du fruit.
Le moulinier me délivre une huile vierge extra, issue d’une première pression à froid, extraite par les seuls procédés mécaniques à une température ne dépassant pas 30 °.
Elle ne subit aucun traitement ni addition de substance chimique.
L’huile extraite passe à la centrifugeuse, elle n’est pas filtrée mais décantera naturellement afin de pouvoir libérer tous ses parfums.
Mon huile est commercialisée sur la propriété. Selon vos préférences vous trouverez des  textures et saveurs douces ou plus ardentes.

L’huile d’olive est un produit naturel d’une exceptionnelle valeur alimentaire.
– sa valeur énergétique est supérieure aux autres fruits.
– sa teneur en calcium est égale au lait de vache.
– les olives noires ont une plus forte valeur nutritive que les vertes.

Matthieu je vous remercie pour votre disponibilité ainsi que pour toutes ces précieuses informations que vous nous avez transmises sur l’univers de l’olive. Merci.

 

PETITE BOTANIQUE DE L’OLIVIER

 Ma famille, les Oléacées :

Voici quelques uns de mes proches cousins : troène, lilas, forsythia, frêne,  mimosa et jasmin…Surprenant n’est ce pas ! 

Mes lointaines origines :

Africaines, évidemment ! Et confirmées par les toutes dernières fouilles archéologiques.
J’étais présent sur les bords du Sahara il y a 120 000 ans. Ce serait à partir de là que j’aurais gagné tout le pourtour méditerranéen.
A Jéricho on produisait, il y a 6000 ans, une huile très fine. Et dés le IIIème millénaire, j’avais conquis tout le croissant fertile.
Quant à la Provence, je crois me souvenir que ce sont les Phéniciens, vers le XVIIIème siècle avant JC qui m’y ont introduit ou peut-être les Carthaginois vers 800 avant JC. Mais la mémoire me manque, je suis très vieux !
Plus tard, beaucoup plus tard, et plus proche de nous, vers le XVIIIème siècle, l’homme est parti à la conquête de la garrigue. Là, sur les terrasses incultes il m’y a planté. Alors, de son laborieux travail, l’huile, pareille à l’or liquide, s’est mise à couler pour le bien des familles et le bénéfice des marchands.

Mais qu’en est-il de mon origine légendaire ?

Les peuples anciens me feraient remonter :
– à l’Égypte qui l’attribuait à Isis, la compagne d’Osiris.
– aux Grecs avec Pallas Athéna, protectrice d’Athènes dont l’un des symboles est l’olivier. Et souvenez-vous que l’Odyssée nous rapporte qu’Ulysse a façonné le lit conjugal dans un olivier monumental. C’est d’ailleurs à cela que Pénélope reconnaît Ulysse, lors de son retour à Ithaque déguisé en mendiant, lorsqu’il en relate la fabrication.
– aux Romains avec Minerve, un plagiat d’Athéna, même si Hercule gardait le privilège de sa découverte.
quant à Matthieu, tout vient de son grand-père. 

Je traverse les siècles grâce à mes qualités exceptionnelles :

Ma longévité est multiséculaire, je suis quasiment immortel.
Ma végétation puissante s’oriente vers la lumière.

Un aspect original :

Mon système racinaire vigoureux s’adapte en fonction du mode de plantation :
– bouturé, je m’étale en surface à 50/60 cm.
– à partir d’un noyau, je prends mon temps et développe un pivot qui cherche les nutriments en profondeur.
– mon tronc lisse et gris, dans ma prime jeunesse, se crevasse avec l’âge (30/40 ans), devient noueux et affiche, alors, les affres de mes multiples tracas.
– et ma ravissante chevelure ! Elle scintille au soleil, bruisse et murmure dans le vent, elle donne, aux peintres de Provence, la touche de couleur et de gaîté sur fond de cieux tourmentés.

Et mes fleurs :

J’ai opté pour la discrétion. Blanches et odorantes avec une fine et jaune corolle centrale. Elles attirent de nombreuses butineuses au mois de mai, mais c’est le vent qui se charge de transporter mon pollen.
Ma particularité, c’est de porter des fleurs hermaphrodites (mâles et femelles à la fois qui donneront les olives) mais aussi des fleurs mâles productrices uniquement de pollen. Attention à la consanguinité !
Hélas toutes ne donneront pas de si belles olives. Beaucoup se flétrissent en route et seulement quelques unes arriveront à terme (5 à 10%).
Certains oliviers sont autofertiles, ce qui pourrait amener à une dégénérescence préjudiciable. Mais mon protecteur veille. Il me croise, me greffe, me bouture et de fait préserve ma robustesse. Mais je le lui rends bien.

Mes feuilles :

Et bien, je peux m’enorgueillir d’avoir inventé la climatisation avant l’heure.
Afin de lutter contre la chaleur et de réduire l’évapotranspiration dans des contrées où le soleil est généreux, j’ai vernissé la face supérieure de mes feuilles, le rayonnement est ainsi réfléchi et moins intense. Et raffinement suprême, j’ai tapissé la face inférieure d’une fine pellicule duveteuse dont la fonction principale est de retenir les microgouttelettes d’eau issues de ma respiration. Ainsi je peux me développer la tête au soleil, chez Matthieu, je vis sur les coteaux rocailleux sans jamais mourir de soif.

Je soigne mon apparence, parlons de l’aspect esthétique, la taille :

Saisissons ciseaux ou plutôt sécateurs et écoutons notre oléiculteur attitré.
« Bien, je me propose de vous faire part de tout mon savoir-faire en la matière.
Laissez moi opérer et ce sera pour vous la garantie d’une fructification exceptionnelle ! Rappelez-vous ce que le père de Matthieu nous dit chaque fois : une colombe doit pouvoir traverser votre chevelure, pardon votre frondaison, sans obstacle rencontré !
Premièrement, pour cette fructification, je me garderai bien de trop vous déshabiller. J’appliquerai une taille mesurée, basse, aérée et équilibrée. Une taille annuelle suffira amplement ! J’élimine le bois mort, celui qui a déjà produit, le mal placé ou faisant double emploi. Ceci favorisera votre future pousse de rameaux fructifères.
Dans un second temps, vous avez pris de l’âge, je vous donnerai une seconde jeunesse.
Tous les 15/30 ans je vous ferai bénéficier d’une taille de rajeunissement, plus sérieuse celle-là, plus difficile à réaliser et qui fera appel à toute mon expérience d’oléiculteur !
Et pour finir, afin de vous permettre de renaître, tel le Phénix qui perpétue l’éternel cycle de la mort et du retour à la vie, je vous appliquerai ma dernière taille de régénération qui laissera un ou deux rejetons issus de votre vieille souche fatiguée et le cycle recommencera ».

Mon fruit, votre olive :

Le fruit commence à se former à partir de l’ovaire de la fleur deux semaines après la pleine floraison « c’est la nouaison ».
C’est à partir du mois d’août que j’atteins ma taille normale et ma pleine maturité en octobre. C’est la « véraison ». L’olive grossit et change de couleur, passant du vert au rouge, violet et enfin au noir.
Toutes mes olives n’arriveront pas à terme. Elles se perdent en route, sécheresse, humidité excessive ou parasites. Dame nature décide, mais mon protecteur veille et adoucit mes tourments.
Mes fruits, les plus résistants, atteindront sans dommage le mois d’octobre. Là, ils s’enrichiront en huile grâce à une mystérieuse alchimie, mes acides se transformeront en sucres. C’est la « lipogenèse ».
Ensuite vient la « maturation » d’octobre à février. Et oui !  mon olive est un fruit de l’hiver !  De fré pèr que l’oulivié cargue ! (il faut du froid pour que l’olivier soit chargé de fruits).
Et pour parfaire votre « minéralisation »: soufre, phosphore, chlore, iode, magnésium, calcium, fer, cuivre et manganèse. Vous constaterez que rien ne manque !

Et le temps de la récolte alors :

Et bien, selon vos goûts et vos différents usages, vous les récolterez :
– vertes pour la table dès le mois d’août.
– noires et mûres, pour votre huile et pour les tapenades de novembre à février.

Mais alors que de peine pour vous les humains ! Récolte à l’ancienne ou mécanique, c’est toujours un sérieux labeur !

Et voici comment les anciens préparaient mes olives pour en retirer l’amertume :

Faire tremper les olives dans une lessive de cendres de chêne et de sarments de vigne, alcalisée par de l’eau de chaux. Elles y resteront jusqu’à ce qu’elles aient perdu  leur amertume. Bien les rincer, les mettre dans une jarre bien vernissée à l’intérieur.
Les couvrir d’eau légèrement salée (1 kg de sel pour 10 litres d’eau) et bouillie. Y ajouter alors fenouil, écorce de citron, d’orange et autres aromates (thym, laurier, girofle, cannelle, coriandre).
Le sel les conserve mais les aromates les parfument. A vous de jouer !

Et l’homme dans tout cela :

Et bien, déjà depuis bien longtemps, nous faisons route ensemble !
Il me taille, me soigne, me réconforte et me protège.
En échange je lui offre la douceur ou l’ardeur de mon huile pour sa plus grande joie.
Une véritable économie d’intérêt commun, en somme.

Et pour finir :

Je crois que je vous ai tout dit, il est grand temps que nous retournions chacun et chacune à nos occupations.
Mais avant de vous quitter j’aimerais que nous partagions un court instant de poésie à la lecture d’un texte de Laurent GAUDE.
Je vous offre ce qui, pour moi, illustre le mieux cet attachement  qui nous réunit à jamais.
Généreuse ou hostile, cette terre aride dont je suis issu est à votre image. Laissée à la friche elle ne donne rien de bon. Mais travaillée à la sueur des hommes elle produit le sang de la vie qui irriguera jusqu’au dernier de mes rameaux.

EXTRAIT DE : LE SOLEIL DES SCORTA de LAURENT GAUDE prix Goncourt 2004.

Lorsque Elia lui rendait visite, il l’invitait toujours à s’asseoir sur la grande terrasse. Il faisait apporter quelques tranches de pain blanc et un flacon d’huile de sa  production et ils dégustaient ce nectar avec recueillement :

« C’est de l’or, disait l’oncle. Ceux qui disent que nous sommes pauvres n’ont jamais mangé un bout de pain baigné de l’huile de chez nous. C’est comme de croquer dans les collines d’ici. . .Ça sent la pierre et le soleil. Elle scintille. Elle est belle, épaisse, onctueuse. L’huile d’olive c’est le sang de notre terre. Et ceux qui nous traitent de culs-terreux n’ont qu’à regarder le sang qui coule en nous. Il est doux et généreux. Parce que c’est ce que nous sommes : des culs-terreux au sang pur. De pauvres bougres à la face ravinée par le soleil, aux mains caleuses mais au regard droit.
Regarde la sécheresse de cette terre tout autour de nous, et savoure la richesse de cette huile. Entre les deux, il y a le travail des hommes. Et elle sent cela aussi, notre huile. La sueur de notre peuple. Les mains caleuses de nos femmes qui ont fait la  cueillette. Oui. Et c’est noble. C’est pour cela qu’elle est bonne.
Nous sommes peut-être des miséreux et des ignares, mais pour avoir fait de l’huile avec des caillasses, pour avoir fait tant avec si peu, nous serons sauvés. Dieu sait reconnaître l’effort. Et notre huile d’olive plaidera pour nous. »

Elia ne répondait rien. Mais cette terrasse qui dominait les collines, cette terrasse où aimait s’asseoir son oncle était le seul endroit où il se sentait vivre. Ici, il respirait.